Mi-août, c’est déjà l’approche de la rentrée. Une question revient encore et toujours : celle du choix du lignage. Ai-je bien fait de prendre du Seyes 4 mm ? N’aurait-il pas mieux valu prendre du 3 ? ou du 5 ?
Cette question traduit surtout l’angoisse de l’incertitude, comme on le perçoit dans le message ci-dessous.
Bonjour Madame Dumont.
J’aurais besoin d’un de vos précieux conseils. Jusqu’à présent, en CP, j’avais tendance à démarrer l’année avec des seyes 4mm… Or, depuis quelques temps, j’ai la sensation que pour de nombreux élèves, cette réglure est en fait trop grosse (quant à ceux pour lesquels elle ne semble pas l’être, c’est essentiellement parce que leur difficulté semble ailleurs: je parle là des élèves qui ne se posent pas sur la ligne par exemple)… mais c’est juste une sensation. Vous avez sans doute beaucoup plus de recul que moi sur la question, du coup, je me permets de vous demander conseil.
J’en profite pour vous dire que votre ouvrage a métamorphosé ma façon d’enseigner l’écriture et, qui plus est, qu’il m’a offert l’occasion d’apprendre à aimer celui-ci… donc: MERCI!
Cordialement,
Emmanuelle
La question porte sur le choix du lignage. En apparence. L’incertitude, plus ou moins inconsciente, sur la réalité de la problématique s’exprime dans l’expression « j’ai la sensation« , reprise pour confirmation « c’est juste une sensation« . En analysant la question on se rend compte qu’Emmanuelle nous dit « et si ce n’était pas un problème de lignage ? »
Voila qui nous fait poser un regard différent sur la problématique : la question de quelle dimension faut-il que soit le lignage ? en cache une autre : que faut-il faire pour que l’enfant puisse écrire dans le lignage ? On perçoit alors que la réponse ne réside pas seulement ( voire pas du tout…) dans le choix du lignage mais dans l’enseignement de l’art de bouger ses doigts pour écrire dans le lignage.
L’art de bouger ses doigts pour écrire se prépare le plus tôt possible. Il donne accès à une écriture fluide et sans effort (mais ce rapprochement relève du pléonasme). Les doigts ne peuvent bouger vivement et souplement que s’ils sont libres. Cela implique nécessairement un bon appui des organes scripteurs sur la feuille.
Un appui adapté s’obtient lorsque la main, le poignet et l’avant-bras sont posés sur la feuille. Si ce n’est pas le cas, l’enfant va se fatiguer à soulever le poignet et appuyer trop fort sur la mine du crayon (les deux vont de pair).
En même temps que ou après l’apprentissage d’un bon appui, l’enfant apprendra à bouger ses doigts. Pour cela le yoyo, la course aux zigzags ont fait leurs preuves depuis plus de 20 ans. Les coloriages verticaux ou en rond de petites zones également (on les trouve entre autres dans J’apprends à bien tenir mon crayon – Collection Le petit plus, chez Belin.) Plus ludiques, les jeux de bouchons (cousins des jeux de billes) sont l’idéal pour l’été car ils se pratiquent sans crayon ni papier et n’évoquent pas l’écriture ni même l’école.
Une fois que l’enfant sait placer sa main et manier son crayon, alors il est prêt à écrire sans difficulté dans du lignage de toute dimension.
Les lignage trop grands sont toutefois à éviter pour les petites mains non encore expertes.
Donc, avant que se pose la question du lignage, il faudra donc :
1 – apprendre à l’enfant à poser le poignet sur la table
2 – éviter tout exercice qui, en position assise, fera tenir le coude en l’air (sauf faire des fonds de peinture au rouleau en déplaçant le bras horizontalement).
3 – faire faire des exercices de mouvement des doigts poignet et avant-bras en appui sur le support.
(4 – faire des exercices de gestion statique de l’espace graphique)
Les près de 40 pages du chapitre 13 de la nouvelle édition du Geste d’écriture (édition 2016) sont consacrées à la question de la tenue et du maniement du crayon. Les exercices y sont abondamment illustrés pour une bonne compréhension.
Tout comme l’adulte, l’enfant est attaché à ses habitudes. Difficile donc de le faire changer d’avis surtout pour une pratique qu’il considère comme émancipatrice : dès qu’on a un crayon en main on est (presque ?) « un grand ». C’est ainsi dans l’univers du jeune enfant, surtout si on l’a félicité pour « son beau dessin » ! La prudence voudrait donc qu’après ces chaleureuses félicitations on lui montre qu’il peut faire encore mieux si…
On peut alors, sans exprimer que sa pratique va être remise en cause, jouer à lui faire tenir des objets de diverses grosseurs, de diverses formes, de diverses matières pour en revenir au crayon et à la façon optimum de le tenir et le manier. De le manier… n’oublions pas cette étape. En effet, si la question de la tenue du crayon est récurrente, encore et toujours, son maniement est généralement le grand oublié, l’enfant reste tendu, ses doigts restent crispés…
N’oublions pas non plus que si nous ne voulons pas que l’enfant fasse quelque chose il ne faut pas lui apprendre à le faire . Par exemple pas de bec de canard si on ne veut pas de l’enfant place le majeur à côté de l’index sur le crayon. Plus tard s’il veut faire des jeux de doigts rien n’est interdit, mais pas avant que l’enfant maitrise parfaitement l’utilisation du crayon.
Pour les pratiques de classe ( et pourquoi pas aussi à la maison) voici comment on peut enchainer les chenilles pressées, le ping-pong des bouchons puis la prise en main du crayon pour une bonne prise, une bonne tenue et un bon maniement.
Voici donc, pour à la fois tonifier les doigts, les dérouiller, apprendre à placer la main dans l’axe de l’avant-bras donc à éviter les poignets en crosse mais aussi en pont ( ou les deux ) puis tenir et manier correctement le crayon , des exercices d’assouplissement et de tonification à faire successivement avant d’écrire (ou de dessiner).
Le premier ne nécessite pas de matériel. Pour le second il faut un bouchon de bouteille de lait par équipe de deux enfants. Ensuite il faut un crayon et une feuille de papier.
– Le premier, c’est ce que j’ai nommé « les chenilles pressées » : la main c’est la tête, les doigts ce sont les pattes (ces chenilles-là ont les pattes autour de la tête), le corps c’est l’avant-bras (il rampe au sol, donc il reste en contact avec la table). Assis à une table de hauteur adaptée, le dos normalement droit, les pieds au sol, l’enfant pose les avant-bras sur la table de façon à ce que le coude dépasse un peu. Il fait avancer les chenilles en pianotant rapidement du bout des doigts sur la table sans que le pouce soit entièrement en contact avec la table, seule l’extrémité l’est.
– Le second, c’est ce que j’ai nommé « le ping-pong des bouchons » : les enfants sont installés par deux face à face. La position du corps, du bras droit et de la main droite est la même que pour les chenilles pressées, l’avant-bras gauche est replié parallèlement au bord de la table pour le droitier, l’inverse pour la gaucher. D’une pichenette du majeur l’enfant envoie le bouchon à son adversaire qui doit le lui retourner de même. Après dix envois on change de doigt : c’est l’index qui envoie le bouchon.
Ensuite chaque enfant lève le doigt pour signaler que le jeu est fini. Il observe la position de ses doigts et fait glisser son pouce jusqu’à ce que l’extrémité du pouce touche la dernière articulation du majeur. L’enfant observe la position. L’adulte explique que c’est là que sera tenu le crayon et il le montre en prenant lui-même un crayon. Il pose un crayon à portée de main de chaque enfant et leur demande de faire un dernier échange avec le majeur puis d’écrire ou de dessiner ce qu’ils veulent en respectant la position des doigts, du bras et de la main qu’il vient d’apprendre ( ou de consolider).